There are many variations of passages of Lorem Ipsum available, but the majority have suffered alteration in some form, by injected humour, or randomised words which don't look even slightly believable.

Contact Us

Address:

ur address goes here,street Crossroad 123

Phone:

+99 859 658 589 . +69 587 456 25

Email:

profolol@email.com

Eax:

+55 784 7585 . + 985 698 586

Subscribe Now

« La chambre de Léonie » : Préface de Jean-Yves Tadié

31 Août 2021

 »    Il est heureux que, sur ce rivage normand que Proust a tant aimé, Hélène Waysbord ait écrit ce beau livre. C’est l’histoire d’une lecture, genre qui remonte à Montaigne. Il y a en effet plusieurs manières d’être critique littéraire : la première consiste à étudier une œuvre de manière classique et universitaire. Une autre, à montrer comment on a lu, à faire l’histoire de sa lecture, à montrer comment un livre a changé votre vie ou vous a aidé à vivre. Le premier ouvrage qui l’ait tenté en France à propos de Proust, c’est, en 1949, Une lecture, d’un médecin et écrivain, Roland Cailleux. On avait  aussi lu avec émotion Proust contre la déchéance de Csapsky, qui reprend des conférences données par l’artiste aux prisonniers polonais des camps nazis, en 1940-1941.

 

Il s’agit moins ici d’une analyse critique que d’un parcours vital. L’auteur découvre ses propres secrets en croyant chercher ceux de Proust. Elle n’a pas choisi pour cela l’un des héros flamboyants du roman ; au contraire, c’est la modeste Tante Léonie qui apparaît. Même pas un personnage de Balzac, la tante de province, un personnage de Molière. Gyp raconte, dans L’Enfance heureuse de la troisième république, avoir rencontré Marcel Proust qui, à douze ans, en compagnie de sa bonne, allait s’acheter le Théâtre complet de Molière. Et le génie, avec le temps, fera de l’humble, de l’obscure Léonie, pauvre malade imaginaire, une figure de légende.

 

L’auteur est loin d’être une inconnue. Associée par le président François Mitterrand aux grandes décisions culturelles de la république, elle a pu exprimer par l’action son goût de la littérature, que l’on retrouve dans les ouvrages qu’elle a publiés plus tard, L’Amour sans visage, Alex, revenue à l’existence tranquille en apparence des hauts fonctionnaires, au milieu des tours et des livres de la Bibliothèque nationale de France.  La mémoire est au cœur de ce livre ; elle l‘a été d’abord dans  le drame de sa vie, puis dans son action à la présidence de la maison des enfants d’Izieu.

On peut croire, en évoquant jusqu’à satiété les pages sur la madeleine, que Proust est le chantre de la mémoire heureuse. Il n’en est rien : plus belles encore que celles-ci, l’épisode des « Intermittences du cœur » dans Sodome et Gomorrhe fait revivre au héros, par un autre phénomène de mémoire involontaire, tragique celui-là, la douleur de la mort  de sa grand-mère. Et nous sommes encore quelques uns à ne pouvoir oublier, nous qui les avons vus et entendus, les hommes en manteau de cuir, la voix craintive avec laquelle on prononçait le nom de ces belles artères de l’ouest parisien, la rue Lauriston, la rue Cortambert, l’avenue Henri Martin, la rue de la Pompe, l’avenue Foch, adresses de la Gestapo, et, si on voulait partir, l’aboiement des chiens sur la ligne dite de démarcation. Heureux les chats, que la police n’a jamais domestiqués.

C’est dire que Proust, –qui, s’il avait vécu, se serait vu rappeler ses origines juives, aurait été exposé aux persécutions nazies  et vichystes, et aurait pu se retrouver à Drancy comme Max Jacob–, était fait pour comprendre, pour abriter, pour apaiser la souffrance d’une lectrice peu commune, enfant, elle le dit elle-même, soudain privée de sa famille dans l’instant. Si la littérature s’adresse d’abord à la sensation, si elle est une sorte d’hallucination, elle révèle aussi les secrets de nos vies, les met en lumière et permet de les accepter. Ici une institutrice et un président de la République se mêlent aux personnages d’A la recherche du temps perdu. La mémoire comme la lecture et l’enfance,  abolissent les hiérarchies de la vie sociale ; les personnages se côtoient dans l’anarchie de la sensation.

 

Pourquoi retracer si tard ce qui est arrivé si tôt ? À Proust aussi, pour retrouver son enfance, il a fallu du temps. Il s’imaginait au comble du malheur : « Mon enfance a été un puits de tristesse », écrit-il dans Jean Santeuil. Sa lectrice a dû le faire rétrospectivement rougir, elle qui a connu dès l’enfance les vraies causes de tristesse.  Hélène Waysbord se penche à son tour avec courage sur ce puits, mais pour en tirer de la joie, celle de la lecture. Tante Léonie, retirée dans sa chambre, observe de sa fenêtre la vie du monde, s’en amuse et  n’en souffre plus. La symbolique de la chambre est infinie : c’est celle de la naissance et de la mort, de l’amour et de la solitude, du refuge où les bourreaux ne peuvent plus vous trouver, eux qui ont enlevé vos parents ; c’est celle de la lecture et de la découverte de soi. On se cache dans un texte comme on s’est caché dans la vie, dans la chambre de Léonie, et nos souffrances diminuent à mesure que l’œuvre grandit en nous. »

 

 

Jean-Yves Tadié